L'interview qui suit est réalisé le 7 Juin 2004,
il est enregistré sur cassette, puis transcrit.
Quyên :
Je me suis rendu compte
que je suis une handicapée quand à l'age de cinq
ans,
j'allais à l'école maternelle. J'étais
née dans une région très pauvres de la
province de Quang Nam. Nous étions cinq frères et
soeurs, plus une soeur que mes parents ont adoptée, elle
était orpheline.
Mes parents sont pauvres, mon père était officier
de l'armée de Saigon mais avait des contacts avec
l'armée de libération. Après la guerre
il travaille les champs.
Ma mère exerçait avant le métier
d'infirmière, comme la famille devient de plus en plus
nombreuse,
elle abandonne le métier et tient un commerce au
marché local.
Après l'école maternelle, j'allais en classe 1
(classe de CE1) dans une école près de chez moi,
puis la classe 2 où j'étais bonne
élève. La classe 3 se trouve dans une
école plus éloignée de notre maison,
environs 2km. A cette époque j'allais pieds nus, je n'avais
pas de 'sandales'
comme maintenant. Comme j'étais brillante
élève, l'instituteur qui enseignait la classe 3
du village me
faisait passer directement en classe 4, me faisant gagner une
année.
Mon père nous disait qu'il ne peut nous laisser que
l'éducation et il n'y a rien d'autre. Et c'est ainsi,
depuis ma grande soeur Hai
jusqu'à mes petits frères et ma soeur cadette,
nous travaillions bien à l'école. J'aime
étudier malgré les difficultés. Pour
faire la classe 6 qui était assez loin de chez nous, je
n'avais que mes jambes. La région est inondée
trois mois par ans. Il faut s'aider d'un baton et parfois deux. Vers
cette époque, un copain de ma soeur
aînée Hai m'emmenait, on marchait dans l'eau
lentement, on perd pied souvent, une fois j'ai failli noyer.
La classe 10 (classe de seconde), dans une école de
troisième cycle (équivalence du lycée)
est à 17km
de chez nous. Cô
Xuan Lan m'hébergeait dans sa maison à Tam Ky.
Elle me conseillait sur mon futur professionel, m'encourageait
à réussir dans mes études, elle me
disait que peut être, plus tard, je peux aller dans
un pays étranger me faire opérer. J'ai suivi ses
conseil et termine major de la promotion.
Après avoir terminé le cycle secondaire, j'ai
réussi le concours d'entrée dans une
école supérieure,
mais l'école ne m'a jamais contacté,
heureusement, une de mes amies a vu les résultats et m'a
prévenu.
Après l'école supérieure, j'ai
dû m'arrêter quatre ans, mon père
m'avait donné deux onces d'or (400.000d)
pour commencer un petit commerce de chaussure, de tongues et de chapeau
au marché. Après quatre ans de travail j'ai pu
économiser 2 millions de dông. Je demande
à mes parents l'autorisation d'aller à
l'Université de Ho Chi Minh Ville pour étudier
les langues étrangères.
Dans cette grande ville tout m'était étranger, la
vie était bien chère, et je n'avais aucune
connaissance
sur place. Pour aller de la gare routière à
l'adresse que l'on m'a donnée, je me faisais arnaquer par le
conducteur qui me prenait 20.000 d, tout en me parlant de faveur, alors
que je découvrais plus tard
que le trajet n'était pas si loin, et que cela
coûte environs 5.000d !!
J'ai réussi le concours d'entrée à
l'université, section langue française. Pendant
les années d'enseignment
général, j'étais bonne en math,
physiques, et chimie, mais à cause de la rupture
prolongée, j'ai oublié
pas mal de chose. Je choisis le français avec la perspective
de faire le métier de traducteur plus tard.
Il y a une femme qui habite la rue Hoang Van Thu qui
m'hébergeait. Elle était mariée, et
nous habitions
tous les trois dans 6m2. Plus tard un journal commence à
parler de mon histoire, une femme qui vend des
billets de lotterie me loge pour 50.000d mensuelle, nouriture comprise,
elle est vraiment très bonne pour moi. Puis le journal des
femmes 'Phu Nu' publie un article sur moi et une dame m'a
présentée à la
pagode Thieu Quang. J'habite à la pagode pendant un mois, le
journal Lao Dong publie un autre article
sur moi, grace à cet article, mon université me
trouve une place à la cité universitaire.
L'interviewer :
Est ce que vous aviez une
bourse ?
Quyên :
Je n'ai aucun certificat
(reconnaissant mon état), je n'ai aucune bourse,
mais après un mois de faculté, la Compagnie
Pharmaceutique de la Ville m'offre 300.000d pour les quatre
ans d'étude ...
A ma deuxième année d'étude je donne
des cours de français pour aider mon jeune frère.
Mon petit frère, celui qui est immédiatement
après moi, handicapé lui aussi, suit des cours
à la faculté
d'architecture, qui coûte plus cher, j'ai dû
l'aider.
L'interviewer :
Après
être diplômée, comment faites vous pour
chercher un emploi ?
Quyên :
J'étais une
handicapée, alors j'ai postulé pour un poste
d'enseignante
dans le Centre des Jeunes Handicapés du Quatrième
Arrondissement. Le directeur de l'établissement
était
un moine bouddhiste. Le centre n'est pas très loin de sa
pagode. C'est un grand centre avec une centaine
d'élèves handicapés. J'enseigne dans
la classe des grands. Il y a la classe Lotus d'or, Lotus blanc,
Lotus rouge, la classe Lotus rouge est la classe des grands, il y a 6,
7 élèves, avec des niveaux divers
(niveau 1 (ce), 2 (ce2),3(cm1) ...) il y a des retardés
mentaux, ceux qui ont le syndrône Dao, des
paralysés,
des épileptiques. Les enfants sont en demi pension, le soir
ils rentrent dans leur famille.
L'interviewer :
Avez vous
rencontré des difficultés dans l'enseignement des
handicapés ?
Quyên :
J'ai suivi plusieurs
stages d'enseignement des enfants handicapés, c'est pourquoi
j'ai pu les comprendre. Fondamentalement il faut les comprendre pour
pouvoir leur apprendre quelquechose. Pendant mes années
universitaires, tous les étés, j'allais
à Dong Nai, chez Cô Nga qui dirige
l'école des handicapés ?Hoang Tu
Be? (Le Petit Prince) . Il y a beaucoup d'enseignants qui
viennent
là pour se resourcer.
L'interviewer :
Comment faites vous pour
comprendre les jeunes ?
Quyên :
Il faut les comprendre
individuellement. Il y en a un qui est bon en lettre,
il sait écrire, il a 18 ans et est au niveau de la classe 2.
Il est bon en littérature, écrit bien mais
est incapable de comprendre le calcul, il sait faire quelques additions
mais pas de soustraction. C'est pourquoi la classe se divise en
plusieurs groupes. Il faut être très psychologue,
savoir ce qu'on
peut enseigner, la coercition est vouée à
l'échec. Ils n'ont pas peur ni des punitions ni des coups.
Mais leur expliquer les choses, ils comprennent, et quand ils
comprennent ils respectent, ils vous respectent quand vous
êtes juste.
J'arrête d'enseigner dans ce Centre quand je me suis
mariée, ils m'aimaient bien. Il y a un qui a des
difficultés à parler, qui dit qu'il m'en veut,
car j'allais me marier et que je jes abandonne !
J'ai travaillé là pendant un an et demi,
l'année suivante, j'ai mis au monde ma petite fille.
L'interviewer :
Pour votre
maternité vous vous êtes
arrêtée combien de temps ?
Quyên :
Je recommence à
travailler quand ma fille a un an, pas comme enseignante
au Centre, mais au sécrétariat de l'
école Lotus, qui est une école
supérieure semi publique d'ingénierie.
L'interviewer :
Je voudrais vous poser une
question concernant votre famille : vous êtes deux
handicapés dans votre fratrie, est ce que pendant la guerre
vos parents avaient vécu dans une région
où on épande l'agent orange ?
Quyên :
Mon père est
officier de l'armée de Saigon, il a le niveau
baccalauréat, il avait des contact avec la
résistance, c'est pourquoi après la guerre, il
n'avait pas à faire les camps de
rééducation, malgré qu'il
était officier. Notre maison se trouve près d'une
colline nue (sans herbe)
.
Les soldats de la
résistance occupe une moitié de cette colline.
C'est le hameau de Binh An, du district Thang Binh, province Quang Nam.
Mon hameau natal se trouve près d'une grande base
américaine.
Ma grande soeur Hai enseigne actuellement dans un lycée
à Phuoc Son. Mes deux plus jeunes frères, un est
architecte à Ho Chi Minh Ville, un a terminé ses
études de médecine et travaille à Hoi
An,
ma soeur cadette est en deuxième année de l'Ecole
Supérieure de Pédagogie (equivalente aux IUFM) et
vit avec nos parents.
Nous avons tout mené à bien nos
études, en prenant exemple sur notre grande soeur Hai, quand
elle est
à la classe 10, j'étais à la classe 7.
On était passioné par les études.
Notre mère était infirmière,
après 75 elle tient une petite étale au
marché.
J'étais handicapée mais j'ai dû payer
mes études, c'est à la classe 12 que j'en suis
dispensée.
Mon frère handicapé, lui, a vu ses frais
d'étude réduits à la classe 9 .
Notre famille a 7 'sao'
de
rizière. Mes parents on travailé double, triple
pour couvrir nos besoins.
Une fois rentrés de l'école nous
décortiquions les cacahuettes, nous travaillions en plus,
garder les bufles, les vaches, économisant de l'argent pour
les études, le travail était dur.
L'interviewer :
Vous avez vu la peine de
vos parents, et cela vous a motivé.
Quyên :
C'est vrai, la motivation
vient surtout des parents.
L'interviewer :
Avant votre mariage,
comment l'amour est venu entre votre mari et vous ?
Quyên :
Nous nous sommes
rencontrés dans un club de visiteurs aux enfants
handicapés.
Il est étudiant à l'école Lotus, moi
à la Faculté de lettre. Toutes les semaines ou
deux semaines nous nous rendons à Dong Nai pour rendre
visite aux enfants de l'école 'Hoang Tu Be'.
En fait quand les journaux commençaient à publier
des articles sur moi, un des ses amis, qui me connaît
m'a présenté à lui, nous nous
connaissons trois ans avant de nous marier.
L'interviewer :
Quand il vous parle de
mariage, est ce que vous vous hésitez ?
Quyên :
Depuis tout petit, j'ai
toujours voulu être indépendante. Au
début je n'ai pas l'intention de me marier. Durant les trois
années de travail humanitaire avec les enfants
handicapés, nous nous comprenions mieux et nous nous sommes
rapprochés l'un de l'autre. Même
handicapée,
je fais tout moi même. A vrai dire les handicapés
ne font pas les choses comme les gens normaux, ils font les choses
à leur manière, pourvu que cela résoud
leur problème. Les handicapés n'aiment pas se
reposer sur les autres. Je peux m'occuper de ma fille,
l'éduquer, assez aisément.
L'interviewer :
Vous habitez encore chez
votre belle famille quand l'enfant est né ?
Quyên :
Ma belle famille est une
famille très nombreuse qui a un restaurant. Mon mari est le
13ième enfant. Quand on s'est marié, nous nous
sommes dits, l'importance est de partager,
de s'occuper ensemble de nos enfants. Nous avons une chambre de 6m2.
Quand ma fille a un an, je prends
un travail à l'ecole 'Lotus', car après mon
mariage, j'ai vu que si je continue comme enseignante au Centre des
Handicapés avec le salaire de 400.000d je dois en plus
donner des cours de français.
Cela me prend trop de temps.
L'interviewer :
Maintenant que vous avez
une famille, un emploi stable, avez vous d'autres
projets ?
Quyên :
Je suis entrain de faire
construire ma maison à Hoc Môn. L'ecole Lotus
m'a donné un terrain de 4m sur 16m pour construire une
maison de 40m2, l'école m'aide à
acquérir le
terrain et finance la construction.
Mon prochain souhait est d'aider les handicapés à
se débarrasser de leur complexe. J'ai un ami
paralysé,
qui est en fauteuil roulant. Il en a honte et redoute de rencontrer les
gens, il redoute le regard des
autres. C'est pourquoi lorsqu'il a besoin d'aller quelque part, il
attend le soir et loue un taxi. J'allais chez lui et le sortais, je lui
disais de se considérer comme une personne normale.
Maintenant
il commence à s'habituer à rencontrer des gens,
et il aime sortir (rire). Il sort souvent maintenant ...
L'interviewer :
Une dernière
question : est ce que vous vous rappelez encore des
difficultés
lorsque, dans votre enfance, vous apprenez à marcher,
à écrire ?
Quyên :
Je marche très
tard. Mes parents croyaient que je ne marcherai jamais.
Je me déplaçais à quatre pattes. Puis
à 18
mois, ma soeur adoptive m'a vu courir ! Je ne savais pas marcher
mais j'arrivais à courrir. J'aime être
indépendante. Je demande rarement de l'aide. Seulement dans
les cas
de force majeur. Pour ce qui est d'écrire, je ne me rappelle
pas quand j'ai su le faire. Bien entendu,
les gens normaux procèdent différemment, les
handicapés doivent imaginer une solution
adéquate, inventive.
J'arrive à me débrouiller grace à cela.